mercredi 16 avril 2014

Nouvelle parution : Cantemiriana. Eseuri, note de lectură



Alexandru Zub est un prodigieux historien roumain par la richesse de son œuvre et par sa présence médiatique. Sa thèse monumentale sur les préoccupations historiques d’un distingué homme d’Etat de la Roumanie moderne, Kogălniceanu istoric, publiée en 1974, est, par son style et par son érudition, un chef-d’œuvre de l’histoire de l’historiographie. Depuis cette date jusqu’à nos jours, l’auteur a considérablement renforcé cette direction de recherche en publiant des travaux de référence, s’ouvrant en même temps à d’autres domaines d’étude, notamment l’histoire culturelle.
C’est dans cette large perspective historiographique qu’Alexandru Zub a fait paraître plusieurs études et essais au fil du temps sur Dimitrie Cantemir, réunis maintenant dans un seul volume sous le titre Cantemiriana.
L’intérêt de ce recueil est principalement historiographique. L’analyse de l’œuvre du prince savant sous l’angle de ses méthodes et de sa conception historique est au cœur de cet ouvrage : c’est le cas de ses textes qui portent sur les « règles d’or » énoncées par Cantemir en rapport avec les exigences de l’historien, sur la causalité en histoire et sur la vérité historique.
Mettant les préoccupations historiographiques de Cantemir dans un contexte historiographique plus large, Al. Zub ouvre un autre volet de cette problématique. Son étude « Sur la modernité de l’historiographie roumaine au XVIIIe siècle » publiée en 1980 en français dans la Revue des études sud-est européennes, et traduite ici en roumain, garde en ce sens toute sa valeur pour la pertinence et l’acuité de ses interprétations.
Enfin, du même registre historiographique relèvent les études et les articles concernant la « réception » de l’œuvre de Cantemir par les historiens du XIXe et XXe siècle. Les textes regroupés dans ce volume évoquent trois moments décisifs : le moment des premiers efforts d’interprétation et de publication de l’œuvre du prince éclairé en roumain, à plus d’un siècle de la disparition de l’auteur ; le moment de l’évocation de Cantemir à l’Académie roumaine en 1923, à deux siècles de sa mort – on notera les pensées d’une remarquable originalité du grand historien et archéologue roumain Vasile Pârvan (autre sujet d’étude de Alexandru Zub) ; in fine, le moment 1973 quand, à trois siècles de sa naissance, la personnalité de Cantemir a donné lieu à de multiples commémorations.
Ce dernier moment semble aussi le plus significatif grâce à plusieurs manifestations internationales et grâce surtout au réputé historien Virgil Cândea qui a initié le projet d’édition scientifique des travaux de Cantemir. C’est aussi dans ce contexte qu’Al. Zub a apporté ses premières contributions à ce sujet, par le biais des communications présentées à des colloques scientifiques – celui organisé par Paul Miron à Freiburg i. Br. qui a fait date dans l’historiographie  –, mais aussi par des études publiées dans les revues de spécialités et par des articles parus dans la presse culturelle : 14 sur les 22 textes qui composent ce volume datent de ces années.
L’intérêt de ces pages est inégal, tel que le reconnaît l’auteur lui-même. Il semble difficile, en effet, de mettre sur le même plan une étude publiée dans une revue de spécialité avec un article paru dans une revue de culture générale ou avec un article occasionnel écrit pour les colonnes d’un quotidien local. Mais ces divers textes, même s’ils reprennent parfois le même contenu, ne manquent pas pour autant d’intérêt : ils constituent une illustration de la manière dans laquelle l’historien Al. Zub a compris son rôle dans la presse, dans le respect de la rigueur, de la clarté et de l’élégance de l’écriture. De ce point de vue, les textes publiés par Al. Zub dans les années 1970, en plein régime communiste, constituent le témoignage d’un contexte anniversaire particulier qui a beaucoup contribué à réveiller l’attention sur l’héritage de Cantemir. D’où, l’intérêt d’insister désormais sur la signification de ce moment dans l’historiographie cantemirienne.
Al. Zub souligne d’ailleurs la nécessité d’une recherche plus systématique de la « réception » de l’œuvre de Cantemir dans la culture et, en général, dans la société roumaine. C’est l’occasion de rappeler d’autres études ponctuelles à ce sujet, en particulier celles de Sorin Iftimi, Aducerea osemintelor lui Dimitrie Cantemir de la Moscova la Iaşi (1935), Ed. Ştiinţa, Chişinău, 2008 et Andi Mihalache, « Politica şi patrimoniu. Documente privitoare la aducerea osemintelor lui Dimitrie Cantemir la Iaşi (iunie-august 1935) », Anuarul Institutului de Istorie A.D.Xenopol, tom XLV, 2008, p.345-364.
Parmi les autres suggestions proposées par Al. Zub en vue de la poursuite des recherches autour de Cantemir, on retiendra aussi son idée lancée en 1973 dans son admirable essai « Meditaţii cantemiriene », repris dans Cantemiriana : elle porte sur l’utilité d’une anthologie des aphorismes de Cantemir. Cette idée, trouvera-t-elle le travailleur passionné pour l’accomplir ? Elle le mérite pleinement. Car le talent des grands historiens est très souvent illustré par l’originalité de leur style à synthétiser des idées profondes dans des images impérissables.
Cantemir en est un bon exemple. Ses aphorismes, abondamment cités par Al. Zub, le montrent : c’est le cas de cette belle image de la vérité, « ochii, sufletul si viata istoriei » [« les yeux, l’âme et la vie de l’histoire »] et d’autres jugements d’une remarquable plasticité dans la langue de Cantemir : « Lucrurile înainte mergătoare trebuie oglindă să fie celor napoi următoare » [« Les choses qui progressent doivent refléter celles qui les ont précédées »], « Sufletul odihnă nu poate afla până nu găseşte adevărul » [« L’âme ne pourra pas trouver repos avant de découvrir la vérité »] etc.